Une Uberisation responsable est-elle possible ?

Les médias et le public parlent en permanence d’Uberisation et opposent de façon schématique et souvent sensationnelle ses aspects positifs et ses conséquences néfastes. Pourtant, avant de conclure sur son impact final, bénéfique ou dommageable pour nos sociétés, il conviendrait de définir de façon objective les composants d’une telle grille de lecture et en particulier  :

  • ce qu’on entend précisément par Ubérisation
  • les critères positifs ou négatifs à l’aune desquels juger ce phénomène.

1/ Quelle définition donner à l’Uberisation ?

  • Une plateforme qui libère une offre et une demande qui ne parvenaient pas à se rencontrer jusqu’alors, en particulier car l’offre était restait inactivée, dormante, faut d’opportunités…
  • notamment grâce à des technologies nouvelles, principalement axées sur le “nomadisme” des utilisateurs, réel (clients AirBnB, chauffeurs et clients Uber) ou virtuel (propriétaires AirBnB qui publient en un clic leur offre dans le monde entier).

Plus l’offre potentielle est inactive, notamment en raison de l’absence de mobilité des acteurs, plus on est proche d’un modèle d’Uberisation, ce qui différencie Uber des modèles 1.0 comme eBay, mais le rapproche d’un AirBnB.

Critères positifs :

  • libération d’une offre dormante ou sous-employée en raison de l’absence de moyens technologiques simples d’activation
  • croissance de la demande correspondante
  • fin de l’opacité qui caractérisait le marché jusqu’alors, en particulier sur les prix
  • meilleur service et baisse des prix pour l’utilisateur grâce à la rentabilisation de l’offre et grâce à la circulation de l’information (notation des acteurs)
  • indirectement, élévation du niveau général de service dans le secteur

Critères négatifs :

  • contournement des obligations légales, réglementaires et sociales d’une profession entraînant à son tour d’autres conséquences néfastes :
  • baisse du niveau de qualité pour d’autres aspects de l’offre moins visibles par le consommateur : en particulier la sécurité
  • paupérisation de l’ensemble des acteurs du secteur en raison d’une concurrence excessive, ne respectant pas les règles du jeu, générant des prix insuffisants pour rentabiliser l’offre.

Ces aspects seront plus ou moins forts selon les caractéristiques de chaque marché :

  • marché sous-capacitaire ou sur-capacitaire
  • à forte barrières à l’entrée ou non : réglementaires et légales, sociales, techniques
  • plus ou moins opaque (ce qui est généralement la conséquence des 2 points précédents)

2/ Quelques exemples concrets de ces caractéristiques de marché ?

Les marchés du transport de personnes et de petits colis sont véritablement des exemples-types de marchés simples à bouleverser dans les sens positif comme négatif :

  • forte demande des clients et forte capacité potentielle non-utilisée (sur-capacité de véhicules et de main d’œuvre en ville)
  • opacité forte des prix depuis longtemps grâce à des oligopoles de fait
  • ouverture du marché souhaitée par les pouvoirs publics
  • faibles barrières à l’entrée techniques (il est facile de « co-voiturer » quelqu’un ou de livrer un colis)

Le transport de palettes et autres chargements lourds (au-dessus de 30 kgs) est dans une situation différente :

  • Marché sur-capacitaire avant même le début de l’ubérisation : forte capacité déjà existante et active
  • Forte concurrence théorique, mais au final pas de transparence sur les prix et les processus (sous-traitance en cascade)
  • Pas d’ouverture spécifique du marché du point de vue structurel : les transporteurs sont des professionnels dûment agréés et contrôlés par l’Etat
  • Barrières à l’entrée techniques relativement fortes (conduire un poids un lourd et manipuler 24 tonnes de marchandises n’est pas simple)

On est ici dans un cas de « libération » d’une offre déjà existante et non de création d’une nouvelle offre jusqu’alors inactive. Il s’agit de donner aux transporteurs existants les moyens de mieux travailler.

3/ Peut-on optimiser les aspects positifs et éviter les conséquences négatives de l’Ubérisation pour le TRM ?

L’uberisation responsable est celle qui maximise les aspects positifs et fait en sorte d’éviter les conséquences négatives de cette libération du marché. Pour le transport routier de marchandises :

  • Libération de l’offre : oui par accès direct des transporteurs aux vrais clients au lieu de passer par des chaînes de sous-traitance
  • Fin de l’opacité : oui car le client paye le vrai prix de la prestation (et non des intermédiaires en cascade) et sait qui la réalise vraiment
  • Meilleur service et baisse des prix : oui car elle est la conséquence directe de ce qui précède.
  • Élévation du niveau général de service : oui en raison de la circulation de l’information (choix du meilleur prestataire, à son vrai prix, directement responsabilisé auprès du vrai client).

Les aspects négatifs sont-ils évités ?

  • Contournement des obligations du marché ? a priori impossible, sauf à frauder délibérément (le statut de transporteur reste une obligation légale)
  • Baisse du niveau de qualité ? possible si les prix ne permettaient plus au prestataire de financer les investissements structurels pour son activité, en particulier en matière de sécurité. De ce point de vue, les plateformes ont une responsabilité dans le choix de leur modèle économique : les enchères inversées conduisant à une course aux prix les plus bas ne sont pas le meilleur moyen de garantir cet aspect.
  • paupérisation des acteurs : conséquence directe du respect ou non des 2 points précédents.

L’Etat a également un rôle fort à jouer en évitant la libéralisation excessive de marchés déjà sur-capacitaires, et aussi en accomplissant simplement son rôle de gendarme pour s’assurer que les règles qu’il a lui-même définies sont bien respectées.

Mais les utilisateurs des plateformes ont aussi une importance majeure, presque plus grande, grâce à leur feedback permanent sur la qualité des services reçus. Ils sont en 1ère ligne avec ces plateformes pour repérer les prestataires peu scrupuleux, qui pourraient pratiquer le dumping ou se comporter de façon dangereuse ou frauduleuse. Le client devra ainsi savoir hiérarchiser ses intérêts à court terme et à long terme, en évitant de faire peser des risques sur sa personne ou sur son entreprise.

Peut-on pour autant être certain que le marché du TRM saura éviter ces aspects négatifs? S’il est difficile d’imaginer des plateformes délibérément peu scrupuleuses, référençant des transporteurs amateurs, non agréés par la DREAL, les utilisateurs doivent aussi rester vigilants sur le choix des modèles économiques de ces plateformes, en particulier au niveau de la fixation des prix. Par ailleurs, dans un monde où les villes et les routes sont de plus en plus engorgées, le législateur ne sera-t-il pas tenté à un moment de libérer une offre inactive pour réduire à long terme le nombre de camions sur les routes? 400 000 véhicules pratiquent aujourd’hui le transport pour compte d’autrui en France, mais les véhicules capables de transporter des marchandises professionnelles sont 10 fois plus nombreux : pensez simplement au fourgon ou au poids lourd de distributeurs bien connus qui ne transportent aujourd’hui que leurs propres marchandises. Dans un souci écologique qui pourrait être légitime, le législateur ne leur permettra-t-il pas un jour de faire du co-transportage s’ils passent près d’une entreprise, plutôt que de voir cette dernière affréter un autre camion spécialement ? Attention dans ce cas à évaluer les conséquences sur ce marché déjà sur-capacitaire !

Pour conclure, quel que soit leur marché, les plateformes d’optimisation devront rester vigilantes à chaque stade de ces évolutions réglementaires ou technologiques, qui se succéderont de plus en plus vite : c’est bien l’objet de la grille de lecture que nous proposons ici.

David Botvinik & Rodolphe Allard – Cofondateurs de Chronotruck

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